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Hommage à Jean-Luc Boudartchouk (1966-2022)
Jean-Luc Boudartchouk nous a quittés. C’est une immense tristesse pour tous ceux, amis et collègues, qui l’ont connu. Depuis 2016, il occupait le poste de Directeur Adjoint Scientifique et Technique de l’Inrap pour Midi-Pyrénées.
Jean-Luc Boudartchouk était un des meilleurs spécialistes de la transition entre l’Antiquité et le Moyen-âge dans le sud de la France. Par ses recherches de terrain tout autant que par ses nombreux articles et contributions scientifiques, il s’est efforcé de donner ses lettres de noblesse à cette période, pendant longtemps dénigrée. Ses travaux pionniers ont concerné, entre autres, les Wisigoths et leur royaume de Toulouse qu’il a étudié à travers les sources écrites, mais aussi les témoignages archéologiques. Par une analyse rigoureuse et renouvelée des rares textes disponibles, il a remis en perspective la relation entre Romains et Goths et l’évolution des institutions vers des formes médiévales. Cette approche l’a également conduit à revisiter des textes fondateurs, telles certaines vies de saints, et à récuser l’authenticité de documents, dont la charte de Nizezius, en réalité rédigés au bas moyen-âge.
Toulouse fut aussi un de ses terrains de recherche privilégié. Ses fouilles et contributions à Esquirol et aux Carmes ont permis de faire connaître le centre civique et une partie des monuments publics de la cité antique. Fort de ces résultats, il s’est efforcé de faire le tri entre légendes et réalités en revisitant en détail deux questions emblématiques de l’histoire toulousaine, le Capitole et le martyre de Saint-Saturnin. On lui doit aussi l’Atlas archéologique en ligne de Toulouse, pour lequel il a mobilisé de nombreux archéologues et chercheurs.
En dehors de ses très nombreuses contributions scientifiques, Jean-Luc Boudartchouk a toujours eu à cœur de faire connaître les avancées les plus récentes de l’archéologie au plus grand nombre, à travers des conférences, des vidéos et l’organisation des Journées Européennes de l’Archéologie. Ses qualités de pédagogue et son sens du service public ont ici fait merveille [voir ci-dessous].
Jean-Luc était originaire du Cantal, de la belle et austère région de Murat et le revendiquait en riant et en qualifiant sa région de pays de taiseux, ce dont il était fier. Il n’était pourtant pas avare de discussions. Il avait le verbe haut pour défendre ses convictions, son point de vue historique, et ayant le goût de la provocation, il pouvait être rude dans ses réparties. Dans les moments de discussions, lors de réunion de travail, il savait rester imperturbable et faire face sans plier. Dans les années 2000, les journées d’étude de l’axe haut moyen âge de Terrae avaient donné lieu à des moments étonnants et le rire n’était jamais loin, une façon de faire retomber la pression. Des moments forts et drôles à la fois ont ponctué ces réunions scientifiques, comme à Saint-Bertrand de Comminges lors d’un après-midi ensoleillé passé avec Ch. Whittaker : moments de rencontres, de complicité et d’amitié inattendus dans ce lieu hors du temps.
Jean-Luc avait de l’intuition sur le terrain, le sens de l’observation en prospection, et portait une grande importance au mobilier germanique oriental, dont il savait tout l’intérêt et qu’il connaissait bien. Il aimait croiser les textes et l’archéologie et était à l’affût des faux documents : textes, objets ou inscriptions.
Il gardait en lui son histoire, une profondeur cachée. Pour ceux qui l’ont toujours connu, depuis ses années d’études à l’université du Mirail, comme il continuait à la désigner, son départ est totalement irréel. L’archéologie wisigothique toulousaine, dont il était un des piliers et à laquelle il était très attachée, est très triste aujourd’hui.
Emmanuelle Boube et Philippe Gardes.